
POrte à porte
Une fois n’est pas coutume, voici une histoire de porte à 4 mains sur une idée de Firenz’ du blog La plume de mouette. Chacun de nous fait paraître le texte de l’autre sur son blog et une photographie.
1
La Porte était au seuil de sa réflexion que l’on frappe d’un objet genre pommeau de canne bourgeoise sur son panneau chêne sculpté … à la ferronnerie de belles figures.
— ¡Hola! Qu’est-ce ? Voilà t’y pas un bourgeois impertinent !
— «L’aile n’est pas celle que l’on pense»
— Le mot de passe est erroné, veuillez recommencer !
— Comment erroné ?
— Écoute bourgeois, j’ai la fibre végétale sensible aujourd’hui, alors, si je te dis : « Le mot de passe est erroné, veuillez recommencer !», ce n’est pas pour le plaisir.
— Ah ? alors : «L’on pense que l’aile n’est pas icelle»
— C’est mieux, mais ce n’est pas ça.
— «Pense que l’aile n’est pas à la selle»
— Mais ça ne veut rien dire, bougre d’âne !
— Bon Dieu de bois, il faut que je rentre !!!
— Que nenni mon bon, je ne suis pas la première venue à qui l’on conte fleurette, j’attends et j’ai tout mon temps, moi !
Texte Max-Louis
2
La canne en festival espérait que tant de chahut attirerait le chaland qui prendrait fait et cause pour le pommeau glacé et ferait pression sur la porte, quitte à l’extraire de ses gonds.
Hélas, nul ne parvint à la dévergonder et la porte toujours restait close.
— Laissez-moi entrer, insistait le Bourgeois – gentilhomme à ses heures mais là il était déjà moins le quart.
— Si vous n’avez pas le mot de passe, il vous faut produire le formulaire AimeAile 492 en double exemplaire. Signé et tamponné, s’entend.
— Sacrebleu ! Mais où puis-je me le procurer ?
— Au bureau 492, 4ème étage, à droite au fond du couloir.
— Mais à quelle adresse, dans quel bâtiment ?
— Ici même, Monsieur le Prince Monseigneur. Juste derrière moi. Il faut me franchir pour y parvenir. Avec soit le mot de passe, exact et épelé, soit le formulaire en deux exemplaires.
— C’est une histoire de fous, un serpent qui se mord la queue ! Appelez donc le directeur !
Texte Florence
3
La Porte vibra légèrement sur son alignement, gauche, réveillant imperceptiblement le gond à scellement double feuille à l’oreille délicate.
— Des menaces, grand dadais ?
— Il n’est que temps que cette farce s’arrête et que le bon sens reprenne sa ligne de conduite !
— Vous parlâtes pour vous et j’en suis fort aise …
— Vous vous méprenez porte de malheur, prenez garde et faites que mon ordre d’être reçu par le directeur de ce lieu vienne à mon secours !
— Et votre directeur de conscience, il vous dit quoi, béotien ?
— Votre insolence est tout feu tout flamme, il se peut que votre entêtement ne vous gâche la journée !
— Vous faites l’artiste devant moi et regardez toutes ces bonnes gens derrière vous… vous faites carnaval …
— Assez ! assez ! je reviendrais et me ferais force loi …
— C’est cela, c’est cela …
Et d’un pas décidé et jambes enrôlées jusqu’aux mollets toutes font courses vers une légitime demande devant le premier haut fonctionnaire que le bourgeois, tout à sa colère d’être retenu comme un simple valet et risée de la rue passante à la moquerie facile, souhaite entretenir.
Texte Max-Louis
4
Mais la porte haute et fonctionnaire restent tout aussi muets aux requêtes du Bourgeois dont la patience est arrivée à ses extrêmes limites. Il vitupère, brasse de l’air et maudit à tout va, qu’importe. Alors, taquine et sure d’elle, la porte carte et s’écarte juste assez pour lui laisser entrevoir les ors de l’intérieur.
— Eh bien, il est bien loti le fonctionnaire, bien logé aussi.
Alors que le Bourgeois essaie de glisser les doigts dans la mince ouverture pour la forcer un peu, la porte se referme sur un bruit sec et quelques hurlements à percer les tympans des oreilles et de l’église.
Heureusement, midi sonne et la cloche aussi. Les portes de la chapelle s’ouvrent pour laisser les ouailles retourner à leurs occupations.
— Si les voies du seigneur sont impénétrables, ses portes sont bien plus accueillantes que d’autres portes en ville, tance le gentilhomme.
— Si vous voulez vous offrir quelques indulgences, elles sont aussi plus adaptées que les nôtres. Ici point de corruption, il faut montrer patte blanche.
— Que vous dites, que vous dites ! Je soupçonne que votre boîte-à-lettres fait parfois office de guichet et de tiroir-caisse.
A ses mots, la porte de bois clair rougit en acajou. Le Bourgeois avait marqué un point.
Texte Florence
5
Aussi se dit-il qu’il est possible de soudoyer cette grande biche de porte qui n’avait pas l’air qu’elle devait avoir ni le tempérament trempé dans le bénitier avant la prière et par déduction l’âme tendre mais affûtée comme le rasoir du barbier de la place et dentiste de belle renommée qui endormait ses clients par un genre de sérum alcoolisé maison.
À ses réflexions qu’il approuve avec lui-même, le Bourgeois revient à la charge avec une nouvelle tactique celle de l’endormissement à plusieurs paliers tel le plongeur en apnée qui a une certaine profondeur perd la notion du temps accédant à l’abyssale abstraction du soi dont le corps n’est plus qu’une onde informe et déstructurée par effet de l’émotion intrinsèquement déployée dans la plénitude du mystère de l’existence en tant que mammifère terrestre…
Et, il s’engage pour un nouveau round après avoir pansé ses deux doigts de la main gauche dont la douleur vivace s’éternise comme un enfer qui ne dit pas son nom mais brûle la chair en des picotements à la pivert.
— Ainsi vous n’êtes pas de chêne ?
— Je peux dire que j’ai le ventail sensible à qui sait apprécier mes ferrures…
— Vos atours ?
— C’est cela même…
— Je ne veux en aucun cas être votre heurtoir mais seulement un passager de votre seuil comme une feuille de printemps à la couleur du montant de votre teint automnal et ô combien charmant.
— Flatteur…
— Mon intention n’est-il pas de vous séduire pour entrevoir entre vous et moi… une ouverture ?
— Si fait, si fait… mais, n’en faites point trop.
— Je vous saurais redevable infiniment si vous me laissiez entrer.
— Vous n’avez que cette idée fixe.
— Fixe et ancrée, car elle y va de ma vie.
— Votre vie vaut-elle une telle amplitude d’obstination ?
— Et vous, très chère, part tous les temps vous résistez comme moi… aussi votre abîme est aussi un peu la mienne ?
— Certes… et si nous convenions que je vous fasse entrer par la petite porte ?
Le Bourgeois aux yeux allumés d’espoir, allait-il accepter cette proposition ou bien s’en mordre les doigts… une nouvelle fois ?
Texte Max-Louis
6
La porte était tout feu tout ruse et avait plus d’un tour dans son sas. Monsieur le Bourgeois n’était pas le premier à avoir tenté de jouer du bélier et d’entrer en force. Elle connaissait la musique, la tactique, et la rhétorique un peu aussi. La porte de derrière était une porte muette, ou une porte condamnée, point d’ouvrant, juste un dormant pour simulacre. Condamné, le Bourgeois ne tarderait pas à l’être aussi d’ailleurs, s’il acceptait son offre. Mais il semblait encore hésitant…
— D’aucuns pensent que les petites portes ne sont pas dignes d’un don de soi et de sa personne, qu’elles ne méritent pas un passage, ni même un coup d’œil Et pourtant, Monsieur, c’est par ici qu’entrent les artistes, les gens de talent. C’est par ici que se créent les alliances les plus secrètes, que se signent les contrats les plus juteux. Et puis, tous les amants le savent bien, c’est par la porte de derrière qu’il faut passer si l’on veut échapper au retour du mari et du maître des lieux sans se faire pincer les doigts ou les bretelles ! Croyez-moi, mon Seigneur, si moi je suis de chêne intraitable, la petite porte a la douceur du peuplier d’Italie, cette belle essence de Sienne.
Le Bourgeois s’emperplexait au discours spongieux de la porte. Diable ! L’offre était tentante, alléchante, un peu trop peut-être. Il n’avait pas acquis ses boutons de manchettes en platine et diamant en écoutant les porte-faix lui conter fleurette. Il se sentait corbeau, la porte était renarde. Mais il mourait d’envie de pénétrer enfin dans les lieux et d’aller passer sous l’eau fraîche ses doigts bleus de douleur, rouge de honte aussi.
— Comment puis-je être sûr que la porte à ventaux que tu me vantes mène bien là où je veux aller ? Qui me dit que je ne vais pas finir dans un soupirail à soupirer jusqu’à la fin du siècle ? Quelle garantie m’offres-tu, porte de malheur et de mystère insondable ?
La porte qui n’avait pas la fibre tendre, devait se creuser la cervelle pour apporter de l’eau au moulin de ses mots, et amadouer le nanti. Quels arguments pourraient faire mouche… ?
Texte Florence
7
La Porte grinça par une inflexion à peine perceptible à l’encadrement et souffla par quelques-uns de ses interstices déployés par les armées de décennies telles des rides qui s’envisagent comme un ciel d’automne prêt à fondre sur le paysage ingénu qui n’attend pourtant que le fouet bienfaiteur qui commande les saisons.
— Dites-moi, le Bourgeois, vous m’avez tutoyée sur le bord de ma traverse, présentement ?
— Je vous tutoyâtes, là, présentement ?
— Ne faites point l’innocent qui voit son mauvais visage pour la première fois dans une flaque d’eau de printemps qui n’a de source que de vous rendre votre vraie nature.
— Alors, cela m’échappâtes par excès de confiance…
— Pour me séduire ? m’envoûter ? me charmer ? me troubler ? me captiver ? m’enchanter ? me dominer ? me conquérir ?…
— Au vrai, ce tutoiement est une audace incontrôlée, une méchante position à l’emballement de mon désir de franchir votre seuil, de tenir ma promesse d’être présent à ma réunion secrète parmi mes pairs…
— Des complotistes dans mes murs ?
— Est-ce ma raison qui chavire ou bien la tentation de vous séduire… j’en suis à ce genou à terre pour pardon et les yeux de honte sur les pavés auxquels des histoires bien horribles ont été contées…
— Conté ? Je vous parle de fromage, moi ?
— M’enfin ! Ouvrez-moi !!!
— Votre injonction est déplacée et tenez-vous en bourgeois responsable de ses actes.
Texte Max-Louis
8
La tournure que prenaient les choses commençait à irriter la porte. Voilà qu’un congrès de complotistes menaçait la probité de ses lieux et le calme aussi.
— Que vous me tutoyassiez ne me plait guère, mon cher, je ne suis pas celle que vous croyez et je ne souffrirais point que, sous prétexte que je suis une porte, vous me sonniez, tapiez, cogniez, voire grattiez à. Je ne supporterai pas, non, que l’on me tapasse ni qu’on me tortillas aux pommes de terre à l’ibérique way. Si vous insistez, il est possible que je m’emporte et que je claquasse la porte à toutes vos demandes !
La bourrasque de ces mots décoiffa le bourgeois mais l’amusa fort aussi. Une porte volcanique, s’emportant à la vitesse du son et sortant de ses gonds avec autant de virevolte n’était pas pour lui déplaire. Pour un peu, il aurait jeté les doigts de l’autre main dans la l’entrebâillement pour défier le battant, et rester un peu plus à discutailler l’affaire.
— Je vous en prie ! Ne me traitez pas ainsi ! Vous me fridakahlomniez à me prêter de telles intentions ! Loin de moi l’idée de nuire à votre intégrité et à votre réputation. Je veux juste danser une salsa avec vous jusqu’à ce que, dans le mouvement entrainant de la danse, je parvienne de l’autre côté, et que vous, ma chère, vous retrouviez à la porte, là où est votre place.
Mais la porte était à présent en colère, sentant bien que le bourgeois se moquait et la cherchait un peu. Sous l’effet du courroux son bois se gondola, Venise n’était plus loin, ses montants craquèrent et l’humidité des pluies toutes récentes s’échappait en vapeur sous l’effet de l’ébullition.
Le bourgeois était toujours un peu amusé mais aussi passablement désarçonné. Diable ! Il pensait devoir franchir une porte récalcitrante et voilà qu’il lui fallait à présent escalader le Vésuve, l’Etna et le Stromboli tout à la fois…
Comment apaiser cette éruption et ramener les choses au calme… ?
Texte Florence
9 (fin)
La gardienne de ce temple n’avait pas envie de céder. Eh bien, elle allait entreprendre autre chose de plus radical comme les mots doux n’avaient point les effets escomptés.
Aussi, elle se transforma en une torche vivante tel un bûcher venu des fonds des âges et qui avait déridé d’un seul coup le bourgeois au visage de l’effroi.
On aurait pu s’attendre à ce que le béotien prenne ses jambes à son cou telle une comète à la chevelure de feu dessinant dans un ciel d’été une future apocalypse pour les terriens superstitieux jusqu’à la moelle des os surtout ceux du fémur.
Il n’en était rien. Planté comme une statue dans le cimetière du Père-Lachaise, la barbe fleurie, le bras gauche levé vers la porte enflammée et le bras droit désignant le fleuve à portée de main, la bouche ouverte vers le néant d’une voix qui s’était réfugiée bien loin dans le fond du gosier, il ne tentait aucune résistance à son sort scellé par son entêtement.
La Porte reconnaissait que l’homme avait du courage en posant comme un ancien sémaphore du rail, ce qui l’avait refroidi un tantinet sur le bord du chambranle.
Mais, il fallait en finir. Alors, par un effet dont la magie elle-même ne comprenait pas ce tour, la Porte avança vers ce têtu bipède pour le rôtir de son impertinence et l’emporter très loin dans les méandres d’un enfer dont le nom était tabou si ce n’est que personne n’était revenue pour le chanter voire le dire ou bien l’écrire tout simplement pour informer le commun des mortels.
Ainsi la Porte et le Bourgeois ne faisaient qu’un dans les flammes…
Texte Max-Louis
Merci Max-Louis, la lecture est plus aisée et l’on profite pleinement de vos deux talents, c’est plein d’esprit et de verve, très réjouissant. J’attends la suite avec impatience 🙂
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Merci pour nous deux (Florence et moi) 🙂
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on est bien Tintin, là ! merci d’avoir regroupé Max-Louis, on suit mieux……..
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Re bon jour Hélène,
« on est bien Tintin, là » … euh, qu’est-ce ce Tintin là ?
Le regroupement, c’est la partage 🙂
Max-Louis
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dans la lignée de cool Raoul et autres expressions idiotes que j’utilise parfois. Je manque de rigueur dans mon langage 😉
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Effectivement … je n’étais pas au jus … 🙂 (autre expression sans eau) 🙂
Max-Louis
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Je viens de rattraper mon retard de lecture, un vrai régal et j’attends la suite !
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Bon jour,
Eh bien, demain est le dernier chapitre … 🙂
Merci de tes mots, lecture et passage 🙂
Bonne journée.
Max-Louis
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Comme tout le monde, cette porte ne voit midi qu’à sa porte. Je propose que le bourgeois tente sa chance un peu plus tard. Ou qu’il attende que la porte soit mise à la porte et retenter sa chance avec la remplaçante.
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Re Bon jour John,
Il y a des idées … mais la fin va être … inattendue … 🙂
Merci de tes mots et passage 🙂
Max-Louis
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Finir dans les flammes autre part qu’à Orléans ! et personne pour faire le 18 ! voilà une histoire qui nous aura tenu(e)s en Hélène 😀 jusqu’au bout. Merci à vous deux
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Bon jour Hélène,
Effectivement tout en Hélène … 🙂
Merci de tes mots et passage 🙂
Bonne soirée
Max-Louis
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une histoire … infernale … quel talent bravo Max-Louis et Florence !!
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Bon jour Juju,
Je peux dire que nous avons un bon tour de mains … sur cette histoire 🙂
Merci de tes mots et passage 🙂
Bonne journée à toi
Max-Louis
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🙂 belle journée cher Max-Louis
Juju roijoyeux
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