Le parloir du Temps

Photographie Céline 2022

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Le Diable ce matin-là, prenait son petit déjeuner et comptait sur le boulier de service le nombre d’arrivants tandis que Dieu en face de lui décomptait ceux qui n’avaient plus rien à faire à la Maison Paradis tout en grignotant une pomme…

L’ambiance était bon enfant. Quand un oiseau se posa sur l’épaule droite du Diable. Dieu leva les yeux, pointa son index en direction de l’oiseau et le Diable fit pivoter ses yeux de quatre-vingt-dix-huit degrés.

— Étonnant ! s’étonna Dieu, monothéiste pur et dur.
— En effet ! convenait le Diable, habillé ce jour-là en Arlequin.

La journée et les années passèrent ainsi : l’oiseau sur l’épaule du Diable.

Au moment du coucher (une fois par mille ans, pour les puristes théologiens), la lune accompagnait Dieu et Diable (il n’y a pas de tour de garde) à s’enfoncer délicieusement chacun de leur côté dans un lit moelleux : l’un au duvet des bienheureux et l’autre aux piquants des malhonnêtes, tandis que la nuit (en contre bas), elle, faisait son office au moment où le jour prenait son tour de veille. Ainsi à chacun sa mission et pas l’ombre d’une dispute, au silence comme gardien.

Ce jour-là, l’oiseau piailla pour la première fois, déboussolé que son perchoir ait une autre position, incongrue… qu’il s’essaya à déplacer.

— Ooooooooh ! dit le Diable, joignant le geste à la parole se débarrassant du volatil tournoyant autour de son auguste composante démoniaque et infernale, et se retournant dans le lit, dérangeant Dieu qui grommela en un juron et une bénédiction tout en s’exprimant :

— Alors ? Qu’es-ce ce raffut ? Je voudrais bien dormir en paix.

Et le parloir du Temps s’activa en alarme, premier devant le prie-Saint à la croix du martyr qui se réveilla, soupira, se leva, enfila sa robe de bure violette, chaussa ses caligæ et s’informa de l’incident au prêt de Dieu.

— Qu’est-ce, Dieu mon père à la trinité bien sonnée ?
— Met-moi… à distance ce volatile infernal… que je puisse hiberner en sainte tranquillité.
— D’où sort-il ?
— Je n’ai pas la genèse de cet… emplumé !
— Mon Dieu, vous exprimez là un mot déviant.
— D’Évian ? Je ne vois pas le rapport avec cette commune thermale !
— Ne soyez pas espiègle, Mon Dieu.
— Dites, ne jouez pas au directeur de conscience… allez, hop, il faut me virer cet oiseau là…

Et malencontreusement le doigt de Dieu désigna le Diable en même temps que l’oiseau passait sur la tangente du regard de celui-ci.

— C’est moi que tu veux chasser ? dit le Diable qui se voyait désigner comme indésirable.
— Mais non ! informa très justement Dieu, béatement.
— Comment non ?
— Bé non, ce n’est pas toi, mais l’oiseau.
— Il ne te plaît pas, l’oiseau ?
— Il me gêne pour m’endormir.
— Moi pas !
— Dis, tu vas t’y mettre aussi, hein ? J’ai déjà le saint martyr sur les bras…
— On dit ça, on dit ça…
— Comment, on dit ça ? Clarifie ta pensée !
— Non !
— Comment : non ?
— Ce n’est pas assez clair comme refus ?

Depuis la discussion s’éternise quand les exégètes considèrent ce moment-là comme l’oiseau de la discorde… et de ce temps, le monde … de bien et de mal ne savent plus à quels saints se vouer…

© Max-Louis MARCETTEAU 2022

Le pragmatisme de l’acte charnel

Photographie de Dmitriy Krasitsky

Blog oulimots contrainte écriture


Aux retrouvailles tous les souvenirs sont là comme le filet à provisions, il y a des ingrédients qu’on apprécie et d’autres moins mais indispensables à la préparation du plat considéré.

Après un confinement sexuel, il était évident qu’il me manquait : le jouir pleinement et en nature comme l’on pourrait dire en toute élégance.

Ces retrouvailles ont été un fiasco. Normal. La hauteur de mon engagement n’était pas à la hauteur de la personne. Un déphasage et des attendus divergents. Rien n’est moins simple de satisfaire autrui (et inversement) par toutes les exigences qui s’enfilent comme des perles dans un collier. Je décidais de prendre une autre direction.

Le cœur étant mis de côté, le pragmatisme de l’acte charnel à venir était important pour ne pas s’égarer sur une relation tendue sur un fil funambule qui a tout moment pouvait rompre. Aussi, la distance entre point de départ et point limite définissait le périmètre à explorer pour découvrir ce qui pourrait m’enchanter. En effet, plusieurs dizaines de kilomètres carrés paraissaient une belle surface, cependant avec une idée précise non négociable de ma recherche : 1,75 m, 95C, blonde (et autres critères sur ma feuille de route) rien n’était moins sûr de trouver la correspondance à cette prétention, mais l’espoir fait vivre, paraît-il. Amen.

En prenant en compte mon portefeuille qui n’était pas extensible et le téléphone en poche, j’effectuais mes recherches ardemment. Je m’informais, contactais, visitais, prenais notes. Plusieurs semaines entièrement consacrées à la poursuite de la femme idéale à mon envie sexuelle, j’abdiquais un beau matin, devant ma glace à doubles reflets. Je me questionnais. J’admettais que je faisais le difficile.

Je décidais de prendre le train de la raison. J’embarquais pour un pays fabuleux, non pas imaginaire mais celui qui me permettrait le baiser attendu, et tout le reste pour ma plus grande joie sexuelle. Ce pays était pourvu ce dont je recherchais. Il n’était pas aussi loin que je pouvais le croire à mon grand étonnement, il s’appelait : La Fraise, un magasin qui fabriquait et vendait… des poupées gonflables…

© Max-Louis MARCETTEAU 2022

Au bord de l’eau sur un reflet tout neuf

Photographie Martijn Akse

Blog Émilie : récolte 21.06


J’ai voulu l’accompagner. Elle a dit non. Ce non dans sa bouche raisonne en moi tous les mardis matin à 10h24, l’heure de la signature de l’acte de séparation définitive.

Divorcer n’est pas rien. C’est un tout qui ne laisse rien au hasard. A tout prendre, il ne faudrait rien promettre. Promettre c’est s’engager et s’engager s’est signer un accord … deux accords pour cloisonner le couple.

Aujourd’hui, je maîtrise ma vie… ce qu’il en reste. Ce reste est le fait de la division de nos entités ennuyeuses au milieu d’autres entités assommantes. Et pas un enfant pour solde de tout compte.

Il est mardi matin et je soigne mon oubli au bord de la rivière en compagnie d’une canne à pêche qui semble s’ennuyer au bout de la ligne comme moi au bout du compte.

La canalisation de mes sentiments est une fracture ouverte et j’ai placé une fausse barrière pour la soigner même si je fais semblant de mettre tout en œuvre pour la réparer.

Je souffre à distance. Et rien n’arrêtera cette souffrance. J’en prends soin à la nourrir. Ce lien entre elle et moi nous permet de tenir les longues heures de l’ennui qui nous soutiennent avec ferveur.

Rompre, n’est pas à l’ordre du jour. Jamais. Et me voilà à sourire au bord de l’eau sur un reflet tout neuf qui me fait partager ce moment d’union.

Et voilà que surgit un ornithorynque à la frontière de mon territoire de pêcheur. Et je lui crie :

— Tu vas filer ? hein ! … au trot ! …. animal fumeux… diabolique… tu ressembles bien à mon ex-femme

© Max-Louis MARCETTEAU 2021

Pensées déviantes

Blog popinsetcris contrainte écriture (mots définitions)


La patience est un mot dont je n’ai pas d’accointance. Non, non. La patience, c’est attendre… souvent à distance. Et attendre c’est perdre du temps de vie, c’est le contraire de l’accomplissement et une des nombreuses carences de la constitution d’une existence.

Aujourd’hui j’ai cette sensation d’attendre au-delà du raisonnable. Ce bus qui n’arrive pas et ces gens insensibles comme l’eau qui traverse la terre qui se noie…

J’attends parmi d’autres attentes. Longueur d’un temps qui s’étire de bras à bras de minutes torturées, j’accomplis ma souffrance, mon impatience, ma pénitence, mon calvaire…

J’entrevois la ferveur de certains à cette souffrance de la patience déclinée sur le palier de l’attente et à son dernier degré celui du manque, à ronger les ongles des aiguilles de l’horloge du souffle qui fredonne les soupirs comme des râles et à toute aventure possible, la récompense, le trophée de la jouissance, de la libération de l’entrave du manque qui a posé le mot bonheur presque comme une enclume.

Et j’attends ce bus maudit qui ne vient pas et je tourne en rond dans mon esprit trop étroit à ma condition de salissure, de tache indélébile sur le parvis goudronné de cet abri qui m’aspire dans les tréfonds de la fièvre de l’agacement.

A genoux il faudra me repentir de ces pensées et me traîner sur le dallage cadavre de ma cellule… quand un indécis me cloue par ces quelques mots :

— Mon seigneur vous vous êtes égaré de votre diocèse ?
— Non, mon fils… mon chauffeur est en gréve, il se dit comme, nos religieuses, abusés par de nombreuses tâches et heures… Est-ce que Jésus a compté ses heures, lui ? Non, mon fils ! Je vous le dis en vérité…

© Max-Louis MARCETTEAU 2018