Je suis prostré, debout. Muet. Comment traverser ce marécage ? Et qui trouverais-je après l’avoir traversé ? Et si j’abandonnais, là ? Le retour est impossible. Mourir sur pieds. J’attends. J’attends. Les yeux fermés et le cœur ouvert à l’espoir. Mais il n’a pas ce nom. Je ne connais pas ce nom, je le ressens. Il est là, au fond de mon âme d’enfant.
Mes pieds trempés et mes larmes d’un œil à un autre me brûlent. Et je crie. Ce cri qui sort d’ici, ce cri d’enfant cruellement abandonné dans ce marécage et qui n’a aucune direction prendre. Dis maman, tu es où ?
Et ce bâton qui ne me sert à rien.
J’ouvre les yeux. Une troisième nuit. J’ai l’impression de ne rien ressentir. Ma peau est une herbe séchée. Ma bouche n’a plus sa source. Je suis statue. Je suis cette nuit à moi tout seul. Cette nuit muette et qui me broie le cœur. Cette nuit qui n’a rien de moi. Cette nuit des douleurs sourdes. Je n’attends pas ce quatrième jour. Je vais mourir. Je n’ai plus de force. Elles sont parties avec mon désespoir.
Ce jour arrive. Il n’est pas aussi beau que les précédents. La liberté d’un enfant n’est pas d’être seul. Je respire encore. Debout, mes pieds sont partiellement gelés. Mes yeux sont des lanternes presque éteintes, à peine ce souffle de vie et puis, j’aperçois dans un quart de ciel orangé défiguré, des ailes d’oiseau. Est-ce pour moi ? Ce premier voyage vers un ailleurs inconnu et que l’on espère fortement.
Cet oiseau de belle envergure se rapproche de moi, tournoie, s’exprime étrangement et se rapproche. Et j’aperçois, enserré dans ses pattes, un objet qu’il laisse tomber à mes pieds. Je me penche difficilement avec l’aide de mon bâton qui se courbe en même temps que moi. Je ramasse la chose, tout en bois et le bâton m’aide – enfin – à me redresser.
C’est une flûte galoubet. Elle est gravée de symboles. À son contact, ma main se réchauffe. Suis-je à l’orée d’un rêve ? J’ose porter à mes lèvres, sans faim de trois jours, le bec de l’instrument. Mon léger souffle et mes quelques doigts, par magie, interprètent un air, inconnu, à mes oreilles. Quand, je vois apparaître à quelques toises, à l’entrée de la clairière, face à moi, une ombre filiforme. Un homme de toge violette et d’une toque noire s’approche, rapidement, trop rapidement que déjà son regard est accroché au mien à quelques centimètres.
— Que me veux-tu gamin ? Grogne-t-il.
— J’ai… froid et… faim.
— Et c’est pour cela que tu me déranges, garnement ?
— C’est que… je suis bien en peine de me déplacer. J’ai les pieds… souder au sol…
— Qu’est-ce que tu me chantes ?
— Veux-tu m’aider ?
— Je suis un magicien. Le magicien des Quatre Houx sur ce territoire. Et que m’importe tes pieds soudés au sol. Je rentre d’où je viens, et ne m’interpelle pas une nouvelle fois, je n’ai que faire de toi.
— Mais…
— Indélicat crapoussin…
— Dis-moi l’enchanteur, si tu ne frayais pas avec l’alcool de prunes tu aurais la convivialité printanière et non hivernal.
— Qu’est-ce qui pousse entre tes oreilles le marmot ? Tu te crois où ? Au salon des jouets enfarinés d’oribus ?
— Ton aura se pourrit par chaque lettre que tu viens de prononcer. Bientôt, je devrais te prêter mon bâton pour que tu puisses rentrer dans ton logis
— Qui… es-tu… marmouset ?
— Vois tes mots, tu deviens viande carnée…
Le magicien, peau tannée, bouche édentée, devient comme un arbre foudroyé, planté dans la boue gelée.
( à suivre …)
©Max-Louis MARCETTEAU 2017