La Détenue de Versailles en 1871

La Détenue de Versailles en 1871 / Auteur du texte par Mme Hardouin Céleste (1832-1904). 1879. Paris. — Typ. Collombon et Brûlé, rue de l’Abbaye, 22 – Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.

(Mise à jour le 13/05/2019)

Chapitre I

Page 7 : « On oublie vite le malheur des autres quand il faut songer au sien propre. »

Page 8 : « Que peut la douleur d’une femme qu’on appelle « pétroleuse? »

Page 9 : « …mais la tenue caparaçonnée, c’est le seul mot qui puisse donner une idée de la raideur de sa tenne … »

Page 9 : « Plus responsable par votre instruction, vous irez aux îles Calédoniennes prêcher vos doctrines. » (dit le colonel)

Page 10 : « … avec une brusquerie dans laquelle il y avait de la bienveillance : « Sergent! Emmenez cette femme à l’Elysée, séparée des autres prisonniers. »

Page 12 : «  Se savoir à quelques mètres des siens, sentir que votre absence les torture, ignorer enfin le sort qu’on vous réserve, n’est-ce pas trop de souffrances ? »

Page 14 -15 : « Les coeurs qui se comprennent on viennent vite aux confidences. » … « Madame W… était une femme de lettres » (espagnole) … «  C’est le clergé, disait-elle, qui de tout temps, par ses intrigues entrava l’essor du progrès. Il faut inaugurer l’ère du libre examen, hardiment, au grand jour. Si depuis quatre-vingts ans l’Espagne a si peu suivi clans leur évolution politique, économique et religieuse, les autres pays de l’Europe, on ne le doit qu’à l’esprit d’entêtement et de rétroaction qui fait de l’église romaine, l’ennemie de tout ce qui pense, avance et s’améliore. Borne au milieu d’un siècle qui marche, l’Eglise Romaine, n’a qu’une pensée, enrayer la civilisation qui l’envahit et menace de l’engloutir. Elle ne se résoudra pas sans lutte à perdre avec son influence, les prérogatives que lui donne la haute-main dans les affaires du monde, et qu’un dernier effort de la politique des princes lui maintient, mais l’incrédulité des peuples grandit, on la discute encore, on ne la craint pas, bientôt on ne la payera plus. » Les opinions socialistes de l’étrangère participaient à la fois du système de Saint-Simon et des vues de Lamennais. »

Page 15 – 16 : « C’était gravement oublier que la femme souvent incomprise, et d’autant plus isolée, n’acquiert de force, précisément que par la connaissance de sa faiblesse, et des dangers qui l’entourent. »

Chapitre II

Page 18 : « …un officier aux triples fonctions de greffier, d’employé d’État civil et de délégué des conseils de guerre… »

Page 21 : « Mais qu’est-ce que cela fait, puisqu’on rebâtit la maison de M. Thiers. » … « Des Champs-Elysées à la gare Montparnasse la route est longue à faire dans ces conditions. »

Page 22 : «Une locomotive à la tête de plusieurs wagons à bestiaux était là, vomissant la vapeur. On nous entassa indistinctement dans ces compartiments clos et sans banquettes, debout et pressés comme des colis, sans air et sans aucune lumière. L’autorité nous refusait jusqu’à la vue des riants côteaux verts. Et en moins d’une heure nous descendions dans la ville… » (Versailles)

Page 22 – 23 : « Soeur de Saint-Vincent-de-Paul, une cornette blanche aux ailes de colombe nous regardait venir … subitement saisie d’une joie séraphique, elle se mit à battre les mains avec force, pour manifester sa joie. Toutefois son enthousiasme ne s’en tint pas là, elle y ajouta ces deux jolis mots : « Atroces pétroleuses. » Ceci était comme un parfum veuillotiste. »

Page 25 : « C’est ici surtout qu’apparaît dans sa monstruosité l’éducation basée sur l’antagonisme des classes. »

Page 26 : « Il y a dans cette extinction de générosité chez la femme, plus qu’un symptôme de décadence. Ce n’est malheureusement pas un fait isolé qu’après la chute de la Commune, les plus acharnées à l’outrage contre les vaincus furent des femmes d’un monde qu’on avait pu croire civilisé. »

Page 26 : « … du fameux parc de Versailles. Qui ne connaît ces allées symétriquement tirées au cordeau, ces massifs alignés à l’anglaise, ces parterres tracés en angles curvilignes et rectangles, avec leurs faux-cols d’azalées encravatés de cinéraires. »

Page 27 : « Aussi quelle ironie en voyant cet Eldorado né des sueurs du travail et dans lequel le travailleur n’a point accès ! »

Chapitre III

Page 28 : « Le Chantier se trouve aux environs du chemin de fer »… « le vaste bâtiment dit Grenier » … « un rectangle de soixante-dix à quatre-vingts mètres » … « près de cinq cents femmes et jeunes garçons agglomérés. »

Page 30 : « la guipure même a des artistes parmi elles ! » … « Telles sont les femmes que le Gaulois et le Figaro, prostitués du journalisme, ont qualifié d’atroces mégères. »

Page 32 : « Un commissaire qui vint nous ordonna de le suivre au troisième étage du bâtiment, où siégeait le capitaine-instructeur… »

Page 33 : « … puis le commandant du Chantier dit : « Descendez au second étage, vous trouverez des paillasses et vous vous placerez où vous pourrez. »

Page 35 : « Ce n’était point dans mon esprit exagérer la mansuétude de l’administration française que de la supposer susceptible de traiter les femmes à l’égal du soldat »

Page 36 : «  La constitution Rivet, à la bonne heure!… Pauvre mort-née ! Il nous fallut donc, mes compagnes et moi, nous arrimer dans cette cale pénitentiaire : ainsi l’on faisait clos hommes-colis vivants plus maltraités que les colis-inertes, sur les pontons. »

Page 37 – 38 : « Il fallait que la nature, vivace et puissante en moi, fut vraiment accablée, pour que j’eusse pu céder au sommeil dans ce milieu bruyant et chargé d’une vapeur malsaine; mais j’en devais bien souffrir d’autres. »

Page 38 : « … une cantinière fédérée encore vêtue du costume, et la jeune fille qui, disait-on, avait relevé Dombrowski blessé à mort rue Myrrha. »

Page 39 : «  Par une étrangeté bizarre, le mandat en vertu duquel on était venu m’arrêter émanait d’un commissaire, du 17e arrondissement, dont je ne dois pas relever, puisque j’habite le 18e. »

Page 40 : « , si l’on connaissait une limite à cette détention, un temps déterminé qui vint au moins donner patience ; mais l’incertitude en prison ! Les criminels ont au moins la consolation relative d’apercevoir un terme à leurs maux ».

Page 41 : «  La nécessité rend ingénieux. »

Page 44 : « Le régime débilitant de ce milieu méphitique, et la quasi-impossibilité ou l’on était de procéder aux soins du corps, étiolèrent en quelques mois les natures les plus robustes. Telles femmes entrées là pleines de santé en sortaient haves et fiévreuses pour entrer à l’infirmerie. Beaucoup de celles qu’on y transporta n’en revinrent plus : le cimetière les avait prises. »

Page 45 : « C’est qu’en effet la misère agglomérée et la douleur famélique sont deux rudes pourvoyeuses de la mort » … « … perfore et mine le corps comme le taret la carène du navire, n’en a pas moins pour résultat l’anéantissement de l’être : il y a seulement cette différence : l’un sombre sous le poids des eaux qui le pénètrent ; l’autre sous le poids de l’air qui ne le pénètre plus. »

CHAPITRE IV

Page 46 – 47 – 48 : « Le geôlier-chef des Chantiers était un lieutenant de chasseurs, jadis lancier de la garde impériale. A le croire, quarante-trois ans était son âge. Physiquement, l’homme n’était point mal. Haut de taille et pincé dans sa tunique bleu ciel, il avait cette élégance guindée du soldat visant à la distinction. Toutefois, si le buste était raide le geste n’avait point d’aisance. Sur ce corps, en somme assez bien proportionné, une tête étonnamment petite. La nature est rarement prodigue en tout : bien que son possesseur le crût modelé d’après l’antique, le visage, ni laid ni beau, s’accusait surtout par l’absence de caractère. Blond d’aillleurs, ce lieutenant n’avait de martial que la rousse moustache en brosse émergeant de son masque framboise. Quand j’aurai dit que ce bel homme n’était pas plus astiqué, pommadé, cosmétiqué des bottes au képi que certain général d’Afrique aujourd’hui légendaire, il ne restera plus qu’à parler du moral. C’est une nature curieuse et bien instructive que la sienne. On trouverait peu d’hommes aux actes plus carrément contradictoires. Il avait des colères sanguines qui ne s’éteignaient que dans des brutalités. Entier dans ses rages, prompt à se venger, il ne souffrait pas qu’on répondît même avec raison. C’était l’absolu dans l’irascible. S’il arrivait qu’une des pauvres brebis confiées à sa garde s’égarât dans le sentier de la réplique, son dogue orgueil ramenait rudement l’imprudente au bercail de la soumission. L’assurance de l’impunité produit souvent chez certains hommes l’effet des fumées alcooliques ; elles les grisent et les enhardissent dans leurs excès. Peut-être ce soldat se montra-t-il cruel précisément en vertu du droit de vie et de mort qu’il disait avoir sur nous. Cependant à côté de violences inqualifiables, de rigueurs exagérées, il avait des élans de sensibilité singulière. La douleur vraie ne le trouvait pas toujours froid. Compatissant par boutades, il l’était sans arrière-pensée. Enfin, la libre humanité, sans être toujours tendue, vibrait de temps à autre au coeur de ce brutal :mais il fallait pour cela qu’il n’eût point bu. Malheureusement, les libations de l’ex-lancier se dénotaient plus souvent que sa philanthropie, et si le Dieu, auquel il croyait sans doute, puisqu’il l’invoquait à la messe, fait, ainsi qu’on l’a dit, deux parts des bienfaits et des fautes, j’ai grand’peur qu’au jugement dernier le plateau de celles-ci ne l’emporte terriblement sur l’autre. »

Page 48 – 49 – 50 : « Pour second et secrétaire, corse d’origine, de caractère et de tempérament. Il s’en faut que tous les Corses indistinctement soient des êtres vils, mais celui-ci l’était dans toute l’acception du mot (1). (1) Tout récemment condamné pour vol, à deux ans de prison. Un beau visage, dit l’école antique, est le reflet d’une belle âme. Le beau, c’est le laid, réplique le romantisme. Et là-dessus force livres qui ne prouvent rien, tant ils ont voulu prouver. Il se peut qu’aux yeux de la nature, qui ne fait point d’exception, le laid ne soit qu’une réfraction des préjugés de l’homme sur ses pareils et tous les êtres qui l’entourent. Pour moi, je ne veux point décider qui de l’artiste amant des contours ou du penseur épris du fond, côtoie la vérité. Il est, je crois, des âmes droites sous de vilains masques, comme aussi de beaux visages cachant des âmes tortueuses ; toutefois, il semble que la sympathie, spontanément éprouvée pour quelqu’un doit dans une large mesure déterminer notre conduite envers lui. Donc le Frassani était assez bien, jeune, et d’une taille au-dessus de la moyenne; mais à l’expression de sa physionomie dure, devant son front déprimé, sous l’éclat métallique de son regard noir, on se sentait pris à la fois d’inquiétude et d’aversion. Plein de zèle, cauteleux devant les chefs, méchant et grossier pour les faibles, il se vengeait du mépris qu’il inspirait au plus grand nombre en s’efforçant de faire du mal à tous. Bref, ce Corse était l’abject fait homme dans toute la force du mot. »

Page 50 – 51 : « Chaque jour, et régulièrement à deux heures » … « qui dira les frémissements intimer de ces femmes exilées de la vie sociale et domestique, n’y tenant plus que par ce lien fragile, une lettre… O réalistes ! c’est là qu’il eût fallu venir broyer vos couleurs, prendre le vif de vos tableaux, galvaniser vos toiles mortes! là, chercher ta physiologie, moraliste, là, tes’ arguments, penseur ! Si jamais la triste mimique opprimée a du coeur-jailli dans toute sa sévérité saisissante, ce fut là pertes, à ce moment, parmi ces quatre-cents femmes du peuple. »

Page 57 : « Quelques-unes, encore sous l’impression des fusillades récentes de Satory, eurent de cruelles pensées.Rien comme l’ombre, d’ailleurs, n’ajoute au lugubre d’une situation ».

CHAPITRE V

Page 61 : « Indifférence ou jésuitisme, ce procédé d’assimilation et de fusion a tout l’odieux d’un outrage aux moeurs. L’histoire en devra tenir compte aux pouvoirs de ce temps-là. »

Page 63 : «  La malade qu’il soignait avait une esquinancie. En peu d’instants il eut fixé au bout d’une aiguille à tricoter un petit tampon de toile qu’il imbiba d’eau salée l’ayant à plusieurs reprises introduit dans la gorge de la malade ».

Page 64 : « Parmi les prisonnières des Chantiers se trouvaient plusieurs sages-femmes »… « On sait qu’en général ces citoyennes, relativement savantes, marchent avec le progrès ».

Page 65 – 66 : « On sait que des femmes enceintes n’avaient point trouvé grâce auprès du vainqueur. Elles étaient plusieurs aux Chantiers. » …. « Mme Nivert, détenue elle-même, dut à l’improviste, la nuit, procéder à l’accouchement de la femme X… qui se tordait dans les douleurs. Rien n’avait été préparé pour recevoir le petit être ; rien pour donner à là mère les breuvages indispensables. Point de linge, point de feu, point de médicaments, rien! »

Page 66 : « Toutefois cet évènement donna lieu à de vives protestations contre le régime des Chantiers. »

Page 67 : « Il n’en fallait pas tant pour réveiller la brutalité des gardiens. On sait que des poteaux étayaient de distance en distance le plafond du grenier: s’est à ce genre de pilori qu’on n’eut point honte d’attacher par les jambes et les mains les raisonneuses. »

Page 68 – 69 : « C’est par cet homme des plus vils (sieur Frassani, le gendarme) qu’un jour nous vîmes éventrer d’un coup de pied un pauvre garçon : le crime de cet enfant avait été de dépasser, en jouant dans la cour avec ses camarades, le périmètre qu’on leur avait assigné. Le coup était si violent, que les intestins du petit malheureux pendaient sortis du ventre. Je le vois encore, étendu sur le clos, poussant des cris lamentables et s’efforçant de retenir ses entrailles. » … « Un de plus ou de moins à l’hécatombe de mai, qu’est-ce que cela fait! Cependant cet acte monstrueux avait soulevé contre le Frassani une véritable fureur. Il eût certainement payé cher son crime sans la présence de ses collègues armés qui le protégèrent à temps. »

CHAPITRE. VI

Page 76 – 77 : « … nous fûmes sans exception consignées sur nos grabats. Réduite à cette mesure, la punition était supportable, d’autant qu’elle ne pouvait durer, la salubrité du Grenier exigeant une aération quotidienne; mais une méchanceté s’y joignit qui nous frappa doublement au coeur: on nous supprima les visites. » … « Nos pauvres amis, des larmes clans les yeux, durent s’en retourner à Paris, avec leur manne, fruit de privations supportées dans l’espoir qu’elles seraient un soulagement pour l’être aimé. Nombre d’entre eux avaient dû faire la route à pied (25 kilomètres), par 35 degrés de chaleur; leur temps était compté, et la plupart n’avaient que leur salaire pour vivre ! »

Page 79 – 80 : « On saura seulement que le capitaine B…. avait moins de quarante ans. Que cette ascension militaire relativement rapide … n’ait pas eu lieu sans capitulation de dignité, c’est d’autant moins douteux que le capitaine, raide d’orgueil au fond, plein de lui et de son emploi, se montrait devant ses supérieurs et les étrangers d’importance d’une élasticité dorsale à rendre jaloux tous les Rodin. » … « …se piquait de savoir vivre : en réalité, il savait ruser. Pourvu qu’il obtînt des aveux, il trouvait tous les moyens bons. Flatteur et bonhomme à propos, sensible même s’il le fallait … » … «  Ses interrogatoires étaient de véritables piéges où, sous couleur de bons conseils, il attirait les prévenues. » … « Ainsi que mes compagnes, je me laissai prendre aux dehors d’urbanité de cet homme habile; ma confiance alla même jusqu’à lui prêter des sentiments fort honorables, certes, mais loin, hélas! d’être les siens. »

Page 83 – 84 : « … il avait apporté un journal traitant de l’Internationale… » ….  « — Sergent, vous n’auriez pas aperçu ce journal ? Non, capitaine. » … « C’était, un subterfuge innocent pour amener la conversation sur la ligue internationale des Travailleurs. » … « Cette fois encore je donnai dans le piége. » … «  Nous causâmes donc et je ne lui cachai pas mes sympathies. Le programme de l’Association ouvrière me paraissant à tous égards conforme aux principes du droit moderne, je m’étonnai de bonne foi qu’on eût voulu voir dans cette ligue légitime une menace permanente pour l’ordre, un péril pour la société. » … «  Il est assez démontré de nos jours qu’entraver le cours d’un fleuve, aller contre les besoins des masses c’est vouloir imprudemment les voir ,déborder. »

Page 86 : « Les coups d’Etat ne sont plus que des lois de salut. » … « —Je ne vous savais pas si forte politicienne, madame, fit le capitaine d’un ton d’ironie mal déguisée »

CHAPITRE VII

Page 89 – 90 « L’activité des premiers jours avait disparu des Chantiers. Tant qu’avait duré chez elles l’espoir d’être bientôt libérées, les femmes s’étaient montrées relativement courageuses. » … «  Mais la détention se prolongeait, et le doute entrait chaque jour plus avant clans l’esprit des pauvres détenues. » … « … si l’on considère que, de nature essentiellement impressionnable, rien ne prédispose davantage la femme à croire aux horoscopes comme les situations anormales, on ne s’étonnera pas que les pauvres prisonnières, en face de réalités trop pénibles, aient eu recours au mirage des fictions. » … «  Marchandes à la crédulité, il se rencontre toujours quelques sibylles de hasard dans toute agglomération féminine. De par la force des choses elles trouvèrent au Grenier un terrain des plus favorables, car je ne crois pas que jamais la cartomancie ait réuni plus d’adeptes à la fois que dans ce triste milieu. »

Page 91 : « Ces mômeries, desquelles un enfant n’aurait pu s’empêcher de rire, trouvaient cependant crédit chez les pauvres affolées. Que les oracles se démentissent à cinq minutes d’intervalle, qu’ils fussent en contradiction parfois flagrante avec les faits, il importait peu ; l’essentiel était de les voir annoncer ou promettre quelque chose. »

Page 92 – 93 – 94 : «  … au point que les tireuses en titre voyant la crédulité croître en raison du nombre des contradictions, en vinrent à faire commerce de leurs idioties. » … «  Cependant, tout grossiers que soient ces procédés de la magie réduite à l’absurde, et peut-être à cause de cela, le nombre des fidèles est encore assez nombreux parmi le peuple féminin. Ignorance ! nous l’accordons, mais peut-être aussi penchant invincible vers le mystique et l’abstrait. Il se pourrait que ce qu’on regarde généralement comme un produit du fanatisme ou de la superstition ne soit au fond que le résultat d’une lacune cérébrale, d’un phénomène de physiologie spécial au tempérament de la femme. Cette idée, que nous avançons sous réserve, a pour elle l’appui de nombreux faits biologiques. Le respect ostensible ou latent d’ailleurs de la femme pour les choses dites extra-physiques n’a peut-être pas d’autre source, et pourrait expliquer, dans une certaine mesure, pourquoi, malgré les progrès de la libre-pensée, depuis vingt-cinq ans, le nombre des croyants aux miracles en France est encore si considérable. »

Page 98 : « Un jour nous eûmes aux Chantiers deux visites tout à fait providentielles. Comme, Protée, la Providence aime les métamorphoses : cette fois elle apparut sous les traits d’un jeune abbé et l’image d’une religieuse qu’il appelait : « ma mère.»

Page 99 : « Donc l’abbé ne cachait point qu’étant riche et noble, son père l’avait mis en possession de 50, 000 livres (?) avec mission de les manger en bonnes oeuvres. »

Page 100 – 101 : « …pour en donner une preuve, il fit d’abord construire un certain nombre de tables et de bancs… qui n’eurent jamais aux Chantiers emploi de mobilier scolaire : quant aux leçons que sur sa recommandation on devait m’autoriser à donner, elles eurent en effet lieu… jusqu’à trois fois, et l’on se ravisa, car il n’entrait pas plus clans les plans du prêtre que du soldat d’inculquer aux petits détenus d’autre enseignement que celui du bien heureux catéchisme. N’étaient-ils pas, ces enfants, trop émancipés déjà par les événements? Comment ai-je pu croire un instant qu’un membre du clergé fût assez malhabile, assez désintéressé de l’existence de sa mère l’Eglise, pour me » laisser en main l’éducation des jeunes gens mis sous sa coupe ; je m’en accuse, le coeur est si peu logicien. » … « … Pourtant, ces Chantiers, c’était pour eux pis que la prison, le bagne. On les y traitait moins comme des enfants que comme des chiens, auxquels on accorde de la paille sèche et qu’on baigne de temps en temps. »

Page 102 – 103 : « Le fait rapporté par Victor Hugo, dans l’Année terrible, d’un enfant qui, l’ayant promis à l’officier, vint se replacer au bout des fusils ».

« Un matin, l’un des enfants qu’on envoyait d’ordinaire aux provisions disparut. Le fait s’étant déjà plusieurs fois produit, le directeur n’y prit point garde. Or le petit déserteur s’était acheminé vers Paris pour aller embrasser sa mère, restée sans nouvelles de lui depuis trois mois. On se figure le bonheur de la pauvre femme qui croyait son enfant perdu, quand elle le revit sain et sauf. » … «  — Maman, fit l’enfant, sérieux, je m’ai ensauvé de la prison parce que je savais bien que t’avais du chagrin de ne plus me voir ; mais à présent que tu m’as vu, n’est-ce pas, tu seras raisonnable. Tu comprends, on ne m’a pas encore jugé, j’ai pas ma liberté. Seulement, tu vas venir me reconduire à Versailles; comme ça, on se verra un peu plus longtemps, pas vrai ?… « Eh bien ! cette mère, navrée au fond de l’âme, ne voulut point retenir malgré lui cet enfant : il avait promis. Elle le prit par la main, et tous deux, à pied, revinrent aux Chantiers. On n’eut point honte de reprendre le petit transfuge, et c’est à peine si la pauvre mère, avant de s’en retourner à Paris, obtint un mot d’espoir du capitaine-juge. Pour moi, je ne sais qu’admirer le plus, de la naïve loyauté de l’enfant ou de l’héroïque résignation de la mère. ».

Page 104 : « Maître absolu du terrain (l’abbé) » … « Et d’abord, c’est par l’estomac qu’il entend s’attacher les coeurs. » … « Cependant, le dirons-nous, malgré tant de bienfaits les petits gueux restaient froids. Tant de chaleur apostolique et solaire se dépensaient en pure perte et n’allumaient pas leur zèle ; ils ne voyaient dans l’apostolat de l’abbé qu’une simple et pure mission de gastrophile. »

Page 106 : «  Croirait-on qu’ici encore les gavroches irréligieux s’égayaient à ses dépens… »

Page 108 : « Bast! L’abbé se rappela les autels ambulants de la Vendée sous la Révolution, et sauta lestement l’obstacle. Au troisième étage et tout près du conseil de guerre, un temple fut bientôt érigé par ses soins. »

Page 112 : « Il fallait voir alors comme il admonestait (l’abbé) les indifférentes : « Ames endurcies ! » clamait-il. Ennuyées, quelques femmes lui répondirent légèrement ; il les fit mettre au cachot. Cependant nous nous plaignîmes au directeur des procédés sommaires de l’abbé; et le militaire, vexé dans son amour-propre par le moniteur en soutane, fit lever la consigne. »

« Un jour, je ne sais à quelle occasion, l’abbé reçut de lui une invitation à dîner. En l’absence de salle à manger, c’est dans une pièce du Grenier contigüe à la chapelle que la table fut dressée. »

Page 112 – 113 : «  D’ordinaire le commandant prenait sa nourriture au dehors. Le commandant, cela coule de source, versait rasade sur rasade, au point qu’il mit quelque peu, non sans intention, croyons-nous, M. l’abbé dans les vignes de son maître. » … « Évidemment il cherchait et ne savait comment trouver le meilleur moyen d’exprimer toute sa gaieté, quand soudain nous le vîmes porter les mains à ses poches. Au même instant une grêle de menue monnaie vint tomber dans la cour au milieu des gamins qui se précipitèrent à qui mieux mieux. Ce fut pendant quelques minutes une mêlée indescriptible. De son balcon, l’abbé riait à se tordre les côtes ; l’homme de Dieu faisait place au Dieu du rire. »

CHAPITRE VIII

Page 116 : « …le commissaire venait nous annoncer notre prochain transfert à Clermont. Ce fut un coup de foudre. Certes, nous ne doutions pas que Versailles ne fût qu’une étape sur la route de l’exil ou de la détention … » …

Page 117 : « Le premier appel eut lieu 10 minutes avant le départ, et pour comble au milieu de la nuit. Ce qu’en de telles circonstances ce départ avait de poignant ne se peut exprimer. » … « La raison de l’évacuation des Chantiers, était simplement qu’on allait en renouveler la population. De fait, après deux autres convois pour les Centrales, composés comme le premier de vingt prisonnières chacun, on vit arriver 300 femmes extraites de Saint-Lazare. »

Page 118 : «  Leur toilette était soignée, leur feint blanc, tout en elles enfin tranchait tellement sur l’aspect hétéroclite et misérable des détenues de Versailles, qu’elles en restèrent toutes saisies. La vue de nos visages brunis par le soleil et de nos mains quasi-noires les frappa douloureusement, et c’est avec des larmes dans les yeux qu’elles entrèrent à leur tour au Grenier. Les sbires de la rue de Jérusalem eux-mêmes ne cachaient pas leur étonnement. »

Page 120 : « Deux mois s’étaient écoulés depuis mon arrestation, et j’ignorais toujours quand devait avoir lieu mon jugement. »

Page 121 – 122 – 123 : « Au dernier interrogatoire que j’eus à subir du capitaine B…, celui-ci me donna lecture du texte définitif de l’acte d’accusation. Sur de nouveaux renseignements recueillis par les commissaires du quartier M… et D… » … « restait ma présence aux clubs et les discours plus ou moins véridiques y prononcés par moi. N’ayant pas à me défendre sur ce point, je signai l’acte sans hésitation.  Quelques jours après, nous étions, une douzaine de mes compagnes et moi, envoyées au lieu dit : la Correction de Versailles, rue de Paris. » … « Sachant que Louise Michel était à la Correction, ainsi que plusieurs autres femmes, je demandai pourquoi on ne nous mettait pas ensemble comme aux Chantiers. Une jeune religieuse me répondit qu’on avait « l’ordre exprès de ne point laisser communiquer la fille Michel et la femme Hardouin. » … « Apprenant ma présence et mon désir de me rapprocher d’elle, Louise m’appela ; je courus à elle malgré la religieuse qui me suivait et pus lui donner la main à travers la grille. — Ne pleurez pas, me dit-elle affectueusement; nous irons ensemble à là Nouvelle-Calédonie , où nous planterons le drapeau rouge, et la nous nous ferons; les éducatrices des enfants de la Déportation. »

Page 123 124 – 125 : « Une esquisse à larges traits de cette autre Pauline Roland » … « Le fond de cette âme d’élite est une générosité sans bornes, un détachement des choses qui la touchent, allant jusqu’à l’oubli du moi. » … « Sa foi dans la Révolution est sans bornes » … « Ses aspirations sont plutôt idéales que pratiques dans le sens habituel du mot. Louise Michel, en effet, partage avec son sexe le pur sentiment du juste, et comme une intuition des solutions du problème social » … « Une grande indulgence pour les faibles, en même temps qu’un grand courage » … « Louise Michel est poëte. Inspirée parfois, sa muse irrégulière a des tons un peu farouches » … « … elle cherche d’ailleurs moins à chanter qu’à peindre, elle a moins le rhythme que la couleur. Son vers, un peu négligé, a de l’ampleur et du souffle ; on n’y sent point l’effort, ni un respect exagéré des lois de la prosodie. Riche de métaphores, elle manque cependant de mots et surmène un peu l’adjectif. Son mètre favori est l’alexandrin en stances de quatre. L’allure un peu traînante et cadencée de cette mesure se prête mieux que toute autre à l’expression de ses sentiments où la tristesse et le vague dominent. Toutefois elle aborde aussi l’ode, et pour la vivacité propre à l’enthousiasme aucun rythme n’offre les ressources de l’hexamètre : c’est naturellement celui-ci qu’elle adopte. Nature puissamment attractive, rares étaient celles qui résistaient au prestige de Louise Michel. Les soeurs elles-mêmes le subissaient à leur insu.»

Page 126 – 127 : « Louise venait Librement dans ma cellule, encor bien que les soeurs en eussent la clef. » … « Ici tout était froid, sombre, religieusement monotone, et, pour tout dire, mortellement ennuyeux. » … « Le neuvième jour, une soeur vint me dire que mon fils et mon mari m’attendaient au parloir… mais qu’il ne m’était point permis de les voir. » … « Je priai, j’implorai les soeurs : elles furent inflexibles. Ni ma douleur, ni les paroles plus dures que je leur adressai ne purent les émouvoir. Ces femmes de Dieu, qui méprisent assez l’humanité pour s’en détacher vivantes, ne peuvent comprendre qu’on ait au coeur autre chose que ce qu’elles nomment une céleste flamme. » … « l’une d’elles, qui n’avait pas vingt-cinq ans, vint me dire étonnée: « Comment pouvez-vous aimer un homme, prendre un mari! Moi, je leur porte chaque jour à manger, et plus je les vois, plus je les trouve affreux! Il est bon, fit-elle après une pause, d’aimer assez le bon Dieu, pour n’avoir pas à craindre leurs regards… » Pauvres fleurs desséchées de mysticisme qui vous imaginez vivre en un Dieu réprouvant l’homicide, et qui condamnez votre existence au suicide à petit feu, comprenez donc une fois pour toutes l’unique et seule raison des êtres, et donnez des enfants à la terre qui vous donna père et mère. »

Page 128 : « L’arrêt de comparution devant le conseil de guerre venait d’ailleurs de m’être remis : c’était pour le 8 octobre. Nous étions au 29 septembre. »

Page 129 : « On avait oublié les témoins à charge: donc on nous renvoyait à quinzaine : c’était tout simple, si simple que je m’étonne encore qu’on ne nous ait point remis à un mois; ce qui n’aurait fait après tout que quatre mois de prévention dans les conditions qu’on sait. »

Page 130 : « Enfin le 17 octobre, douze jours après, nous eûmes, madame Lenz et moi, le suprême soulagement de nous entendre acquitter. »

Page 130 – 131 – 132 : « l’extrait du jugement rendu, tel que le publièrent plusieurs journaux : « Tout le monde aux Batignolles connaît « madame Hardouin comme une épouvantable créature de la Commune, qui n’inspire qu’horreur et dégoût, oubliant ses devoirs d’épouse et de mère, allant au club tous les soirs, prêchant des doctrines communistes si agréables … » « …Me André Rousselle présente la défense de Mme Hardouin en ces termes : « …Des bavardages de quartier, de voisins à voisins. C’est au point qu’un honorable député, en voyant le dossier, aurait eu cette idée fixe qu’il devait y avoir erreur sur l’identité de la prévenue. Comment les bruits ont-ils pris naissance? Mme Hardouin a eu le tort d’aller au club. De là scandale. Elle y était allée 2 fois : huit jours après, elle était représentée comme y passant toutes ses soirées. »

Page 133 : « Je rentrai le soir dans ma famille, et dès le lendemain je repris la classe de laquelle on m’avait si impitoyablement arrachée … »

Résumé

Page 134 : « Le sang des hommes ayant coulé par ruisseaux n’était rien. Bien que les survivants allassent périr de fièvre à Noukahiva (Polynésie Française), les hommes ce n’était pas assez. Il fallait encore au minotaure de la réaction des femmes par centaines. »

Page 135 : « Le crime de la plupart de ces femmes était de n’avoir pas livré leur fils ou leur époux, d’avoir partagé la foi des leurs, de s’être montrées républicaines. Enfin Saint-Lazare fut leur première station, puis vinrent les Chantiers, puis les Centrales, Clermont, Auberive, puis la déportation dans l’Océanie. Livrer ainsi les femmes et les enfants aux fureurs de parti, cela ne s’était point vu depuis la Saint-Barthelémy, et les boucheries des Cévennes, ces holocaustes religieux. Alors on invoquait la gloire de Dieu, Dieu ! c’est-à-dire la raison d’Etat, l’intérêt du roi, des grands et du clergé. Aujourd’hui, c’est le péril social. Le péril social ! entendez-vous, que l’hécatombe de mai, que la dispersion des familles a dû certainement conjurer ; car la revendication du peuple est sans doute ensevelie dans le dernier des trous creusés aux Buttes Chaumont. »

Page 136 : « Qu’on jette un regard impartial sur la marche économique et politique du pays, de la France, depuis 1871, et l’on aura la réponse. On a libéré le territoire, soit ? mais un gouvernement populaire et viril l’aurait également délivré, à meilleur compte et plus vite, et nous n’en serions pas à recevoir sans protester les insolents rappels à l’ordre de M. de Bismarck, à la moindre velléité d’organisation démocratique ; nous n’en serions pas surtout — conséquence de l’établissement d’un régime sans caractère et sans nom, — à ne compter aucun allié sérieux en Europe. A-t-on compté ce que le système du provisoire indéfini et du calme dit moral a coûté à la France ? L’accroissement sans fin des budgets alimentés à force d’impôts tellement iniques qu’ils en deviennent infructueux, va frapper dans leurs sources vives le commerce et l’industrie qui demandent grâce. Des lois fiscales insensées ouvrent à nos ennemis les marchés intérieurs, ils en expulsent les produits nationaux ; et pour peu que le système se prolonge, nous verrons bientôt, disparaître la seule supériorité que n’ait encore pu nous enlever le vainqueur, celle de la production et des exportations. »

Page 137 : «  La crise économique et financière, depuis les répressions, s’est accrue au point de vous amener à la reconnaître publiquement en plein Tribunal de commerce. Les chômages, faillites, fermetures d’usines, d’ateliers et de magasins, toutes ces calamités sociales, l’exécution de cinquante mille hommes ne l’a point prévenue. »

Page 138 -139 : « La République démocratique peut seule désormais tenir tête aux coalitions étrangères, seule imposer la paix en Europe par le spectacle de sa force intérieure. L’oublier, c’est courir à la plus terrible des chutes, l’effacement politique de la France dans le concert européen, et sa dissolution intérieure par la guerre sociale. Mais la République est vivace ; elle a poussé depuis neuf ans dans le sol français des racines profondes. »

Page 140 : note de la page 73 : (1) Au milieu des femmes arrêtées …se trouvait une comtesse du faubourg St Germain. » … « Mais un jour un député de haute Doblesse, examinant curieusement les détenues aux Chantiers, aperçut la comtesse X. qu’il avait connue dans le monde. « Quoi ! s’écria-t-il est-ce possible? vous, Mme la comtesse, ici? » « Oui moi-même, mon cher ami, qu’en pensez vous?». Le surlendemain la noble dame rentrait dans son appartement. Cependant, combien d’autres était dans le même cas ? Des 400 prisonnières le quart au moins étaient sans dossier. »

Page 140 : « Je pourrais citer de nombreux exemples de ce genre; mais le lecteur connaît ces choses, et d’ailleurs dans une publication prochaine je me propose de raconter l’histoire de quelques héroïnes de la détention de 1871. »

Page 141 : (suite à une erreur typographique, pages omises du Chapitre II page 27)

Page 143 : « Un officier supérieur fit son entrée dans la rotonde. Aussitôt le porte-dossiers, pensant sans doute qu’un peu de zèle le poserait devant son chef, cria : « La femme Hardouin! l’institutrice; — encore une institutrice, mais c’est affreux ! Et dire qu’elle dirigeait les mitrailleuses !» Puis, brusquement : « Qu’avez-vous fait de votre chassepot?» — A cette provocation, je ne fut pas maîtresse de moi, et, le regardant en face, je criai : Vive la République ! C’était, pour lui, la réponse la plus désagréable. — La malheureuse ! dit une voix derrière moi, on va la conduire à la fosse aux Lions. Le docteur R… m’expliqua que la fosse aux Lions était une cave où étaient Louise Michel, Mme Millière et quelques autres. »

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