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Le Diable ce matin-là, prenait son petit déjeuner et comptait sur le boulier de service le nombre d’arrivants tandis que Dieu en face de lui décomptait ceux qui n’avaient plus rien à faire à la Maison Paradis tout en grignotant une pomme…
L’ambiance était bon enfant. Quand un oiseau se posa sur l’épaule droite du Diable. Dieu leva les yeux, pointa son index en direction de l’oiseau et le Diable fit pivoter ses yeux de quatre-vingt-dix-huit degrés.
— Étonnant ! s’étonna Dieu, monothéiste pur et dur.
— En effet ! convenait le Diable, habillé ce jour-là en Arlequin.
La journée et les années passèrent ainsi : l’oiseau sur l’épaule du Diable.
Au moment du coucher (une fois par mille ans, pour les puristes théologiens), la lune accompagnait Dieu et Diable (il n’y a pas de tour de garde) à s’enfoncer délicieusement chacun de leur côté dans un lit moelleux : l’un au duvet des bienheureux et l’autre aux piquants des malhonnêtes, tandis que la nuit (en contre bas), elle, faisait son office au moment où le jour prenait son tour de veille. Ainsi à chacun sa mission et pas l’ombre d’une dispute, au silence comme gardien.
Ce jour-là, l’oiseau piailla pour la première fois, déboussolé que son perchoir ait une autre position, incongrue… qu’il s’essaya à déplacer.
— Ooooooooh ! dit le Diable, joignant le geste à la parole se débarrassant du volatil tournoyant autour de son auguste composante démoniaque et infernale, et se retournant dans le lit, dérangeant Dieu qui grommela en un juron et une bénédiction tout en s’exprimant :
— Alors ? Qu’es-ce ce raffut ? Je voudrais bien dormir en paix.
Et le parloir du Temps s’activa en alarme, premier devant le prie-Saint à la croix du martyr qui se réveilla, soupira, se leva, enfila sa robe de bure violette, chaussa ses caligæ et s’informa de l’incident au prêt de Dieu.
— Qu’est-ce, Dieu mon père à la trinité bien sonnée ?
— Met-moi… à distance ce volatile infernal… que je puisse hiberner en sainte tranquillité.
— D’où sort-il ?
— Je n’ai pas la genèse de cet… emplumé !
— Mon Dieu, vous exprimez là un mot déviant.
— D’Évian ? Je ne vois pas le rapport avec cette commune thermale !
— Ne soyez pas espiègle, Mon Dieu.
— Dites, ne jouez pas au directeur de conscience… allez, hop, il faut me virer cet oiseau là…
Et malencontreusement le doigt de Dieu désigna le Diable en même temps que l’oiseau passait sur la tangente du regard de celui-ci.
— C’est moi que tu veux chasser ? dit le Diable qui se voyait désigner comme indésirable.
— Mais non ! informa très justement Dieu, béatement.
— Comment non ?
— Bé non, ce n’est pas toi, mais l’oiseau.
— Il ne te plaît pas, l’oiseau ?
— Il me gêne pour m’endormir.
— Moi pas !
— Dis, tu vas t’y mettre aussi, hein ? J’ai déjà le saint martyr sur les bras…
— On dit ça, on dit ça…
— Comment, on dit ça ? Clarifie ta pensée !
— Non !
— Comment : non ?
— Ce n’est pas assez clair comme refus ?
Depuis la discussion s’éternise quand les exégètes considèrent ce moment-là comme l’oiseau de la discorde… et de ce temps, le monde … de bien et de mal ne savent plus à quels saints se vouer…
© Max-Louis MARCETTEAU 2022