Le Paresseux

Un quokka farceur – photographe inconnu

Une histoire courte de Paressseux…

Voici les chapitres…


Chapitre I

Un paresseux qui n’a l’air de rien, passe son temps à réfléchir sur le bipède à lunettes qui coupe du bambou aussi gros que la tuyauterie d’un réacteur en fin de vie, non loin de son arbre favori. Il n’a de sa vie autant cogité qu’à roupiller en haut de sa branche, son lit de camp suspendu, sur ce phénomène bipèdique qui jure à chaque coup de coupe-coupe depuis une lunaison. Il se demande comment il tient debout sans tomber et pourquoi il tranche à la base des bambous inoffensifs. Le paresseux n’a pas l’âme guerrière pour défendre son modeste territoire.

Chapitre II

À cette préoccupation, il en a une autre plus importante. Il a noté l’absence de sa femelle toujours à l’affût (à défaut d’être dans le fût à feuilles, provision qu’aucun banquier ne vient ponctionner) des distorsions de son environnement. Une absence peu commune. Sa femelle mollassonne a toujours une attention particulière, un genre de guili-guili sur son kiwi, avant qu’elle n’échappe à sa vigilance bienveillante de mâle amoureux, comblé. Il n’est pas inquiet, non, seulement, il a cette pointe de trouble, là, à cet endroit. Il s’épouille comme un ralenti de moissonneuse batteuse qui ne trouve pas son blé à son goût, accompagnée d’une Lune momifiée qui lui offre des pensées inédites venues comme une colonie de champignons d’automne nourrie d’un lit feuillu aussi fermenté qu’une pinte de bière qui végète dans un estomac délicat.

Et si, à la descente de leur arbre, elle s’était fracturé le coccyx ? Peu probable, quoique sa femelle soit plus active que son auguste personne, elle a se ralentit audacieux, de quelques millimètres heures, en vérité, tout son charme, mais nullement téméraire. D’ailleurs, n’avait-il pas craqué telle une noix devant un charmant casse-noix moucheté lors de leur première rencontre entre deux branches paresseuses ?

Il s’oriente vers une autre question, plus pimentée et moins futile. Avait-elle été bousculée par le bipède à lunettes ? D’ailleurs, où est-il l’animal à présent ? Il se redresse comme un courant alternatif prit d’une soudaine surtension micro-voltaïque. Détourne sa tête de quinze degrés sud-sud-ouest. Il n’y a plus l’ombre de ce trancheur de bambou ! Son trouble prend de la température comme une eau émulsionnée à souhait dont l’œuf frais n’oserait imaginer plonger de son vivant.

De fil en aiguille (ne cherchez pas, il n’est pas couturier) des inédites pensées se chevauchent à grand galop (à ne pas confondre avec la série, pour les puristes), jusqu’à un point d’interrogation comme un point d’eau qui n’a pas de fond : et si sa femelle avait été enlevée ? Il se doit de la secourir sur-le-champ et dans un ralenti audacieux et inattendu, il tombe d’une branche aussi feuillue qu’un pubis de brésilienne.

Chapitre III

Il se rattrape comme le basketteur se retient à l’anse du panier (et pas de la corbeille de fruits) et contient son souffle pour remonter sur son arbre telle la montgolfière fouettée par un air chaud. Puis il s’attarde à récupérer, avec cette tendance de maniaque engourdi et dégourdi, un feuillage spécial camouflage pour entreprendre sa future exploration en terrain ennemi. En effet, il ne peut raisonnablement sortir à découvert comme une pomme de pin prête à être dévorée par le premier venu tel l’écureuil qui ne fait pas que dans la noisette. Abandonner son arbre favori, en somme sa maison, est un arrachement telle une dent saine, et Apathu a ce courage des grands de son espèce les Megatherium et Mylodon, c’est dire si l’énergie de ses ancêtres est en lui, pour réussir sa mission.

Le soleil a baissé le rideau après avoir caressé des degrés Celsius jouissifs, une terre aux belles mamelles gorgées de bienfaits, au moment où Apathu s’agrippe à la première branche étrangère qui l’accueille feuillue comme un lit… il s’endort.

Chapitre IV

Ce qui arrive doit arriver. Une ombre du genre quadrupède à poil courts, un Cunaguaro, renifle la chair de l’endormi, qui rêve à ce moment précis du récit de sa Ouatie entourée de fruits aussi pulpeux que savoureux, au clair de Lune imposant comme un spot. Le félin, tout prêt à bondir craque une branchette comme une erreur de pas, ébruite sa stratégie et donne un handicap à son futur repas. Apathu est à ce moment de son rêve où Ouatie s’est mordu la langue dans un cri du genre aïïïïïïïïïe singulier et croquant, ce qui le réveille d’autant que le Cunaguaro débranche sa position. L’un l’autre, poil contre poil, un courant électrique, fait sursauter leur propre peur au point qu’ils ne savent plus qui doit être surpris.

Chapitre V

Le fauve fait un bond sur le côté, se déséquilibre telle une marionnette dont un fil s’est coupé et ses griffes accrochent une branche, puis une autre. Il ondule sous son poids et craque. De toute famille digne de ce sang, acrobate selon les circonstances périlleuses, équilibriste hors pair, il se rétablit sur une autre branche robuste à sa portée, genre de hasard d’être au bon endroit, bon moment, quelques mètres plus bas, évite une chute fatale. Il grimace de rage, sa gorge émet un son dès plus strident, son repas lui échappe. Il ne va pas en faire une jaunisse, si ce n’est un fromage, il boit sa défaite comme un signe du destin pour le paresseux.

Celui-ci est-il protégé par un de ces dieux de la forêt ? Un talisman porté sur sa proie, offert par l’un de ces gourous maqués ? Une onde rhizomique nourrit à la sève d’amour ? Bref, il ne demande pas d’obtenir une réponse à ses questions aussi curieuses et incongrues, qu’il s’aperçoit étrangement… qu’il pense ! Ce paresseux est bien bizarre. Il faut filer à l’anglaise, que rester dans les parages, éviter ainsi une influence négative.

Chapitre VI

Apathu comprend que son heure n’est pas venue. Il déplie ses membres comme si l’apesanteur avait un coefficient de dix sur son corps. Son périple a de quoi faire peur, lui le sédentaire, le parfait paresseux de son espèce, le gondolier amoureux d’Ouatie, il vient de « se brancher » l’un des pires ennemis familiaux. Quelle joie ! Quelle peur, aussi. Diantre ! Maintenant, il sait qu’il a l’étoffe pour secourir sa bien-aimée, qui, il en est persuadé, vit un danger.

Chapitre VII

À l’énième clair de Lune, Apathu s’enhardit et progresse comme la tige de bambou qui est sûre d’atteindre le sommet de son rêve, là-bas, le ciel à portée de feuilles. Toute son énergie à lutter contre le sommeil naturel, a entamé ses forces. Il est devenu un gisant sur une branche, un fruit en aquarelle accrochée par dessein de calquer une nature morte, une ombre spoliée de sa lumière, un vivant statufié par effet de la sculptrice mère nature intraitable.

Il en est là de ses pensées paraboliques spiralées à la sauce philo-anthropo-décadente, qu’il est cueilli par une vision dès plus inattendue. Une feuille Erythroxylum coca danse majestueusement au-dessus de lui une chorégraphie hélicoïdale à double vrille crantée. Il est médusé à ce spectacle hors du commun comme si une fièvre de cheval avait ouvert un espace cortexal à cet instant précis pour l’embarquer sur la pirogue de la folie ballottée par un fleuve de sueur aux reflets aurifères.

Il tendit une patte vers cet objet volant à l’identification reconnue dans sa base de données dont l’origine remontait à ses ancêtres et entre deux griffes, il pince la feuille, délicatement. Il n’en croit pas la réalité. Il se demande s’il ne rêve pas. Il dévisage ce membre végétal avec respect et d’un geste sacré, le pose sur sa langue, mâche tranquillement toutes les vertus, qui se combinent dans son organisme en peu de temps.

Il se sent renaître ou naître différemment. Comment était parvenu jusqu’à lui ce divin réconfort ? Il n’en sait rien. Le destin a peut-être son mot à dire, si ce n’est la providence devant tous ses efforts à rejoindre Ouatie, l’aide à sa manière et dans la mesure de ses moyens.

Il s’agrippe à chaque branche avec aisance, voire avec une rapidité soutenue qui ne lui est pas coutumière. Il est heureux. Enfin, il allait retrouver Ouatie, sa noble et fière femelle. Et d’arbre en arbre, comme de territoire en territoire, il avance sans qu’aucune résistance ne lui fasse front, tant et si bien, qu’il se demande si le chemin qu’il emprunte est bien le bon.

Il a comme un doute. Une fissure dans son itinéraire s’élargit au fur et à mesure comme la faille de San Andreas. Il y a comme qui dirait, une erreur de trajectoire à défaut d’objectif.

Il s’arrête net. Position incongrue, tête en bas, écartelé en deux branches, de deux arbres différents, ses pensées tourbillonnent, de bas en haut et inversement, comme un yo-yo. Il doit se recentrer sur son parcours, le plus juste et le plus court.

Chapitre VIII

Le soleil luit au zénith telle une tumeur, le ciel est bleu de douleur. Dessous le feuillage, tenu par les lianes de la fièvre, tel l’égaré urbain en forêt (un comble pour un animal des forêts), Apathu se replie sur lui-même dans une sorte de hamac naturel et réfléchit quant à la meilleure direction à suivre. Il cueille quelques feuilles à portée de griffes, mâche tranquillement. Se balance et s’endort.

Le rêve le prend dans ses bras et l’emporte dans la forêt des Gloupes, habitat des papillons géants bulles nommés PapBu et garde-manger des grenouilles bicéphales nommé Grouilles Alës.

Il se sent léger, léger, comme une plume d’oiseau de Paradis. Il se pose sur un nid gigantesque de PapBu. La maman attentive à quelques branches de là, en surplomb, dévisage ce nouvel arrivant aussi curieux qu’inhabituel et d’un coup d’aile majestueux se fixe sur le perron de son nid.

Chapitre IX

— Oooooooh ! Qu’est-ce que c’est que cela ? Qu’est-ce que c’est que ce moustique sur mes beaux œufs-bulles ? Dit-elle outrée, saupoudrée de fines fleurs à têtes de tulipe.
— Je ne suis pas un moustique, je suis un paresseux. Réponds Apathu s’asseyant sur l’un des volumineux œufs.
— Pour moi, tu n’as pas d’autre nom que moustique. Insista maman PapBu, les yeux violets pourpres de colère contenu.
— Et pourquoi moustique ?
— Parce que seuls les moustiques osent piquer mes œufs pour se soigner et transmettre une maladie qui donne deux couleurs à mes petits : noir et blanc. Et pour moi, tu es un moustique ! Peut-être d’un nouveau genre, mais qui oserait ainsi s’installer sur mes beaux œufs-bulles, à part un moustique ?
— Je suis un paresseux et je cherche ma compagne Ouatie.
— Ouatie ? Ouatie ? Ouatie ? Non, je ne connais pas.
— Elle a été enlevée et je me suis perdu. Je cherche un indice, un signe, une marque, une trace, pour la retrouver.
— Tu n’es pas sur le meilleur chemin ! Et descends de mes beaux œufs-bulles !
— Je descends, je descends.
— Si tu veux avoir des renseignements, demandes au Maître des Ailes, au perchoir des Quatre Signes, non loin du Lac des Vertiges.

Chapitre X

Apathu a la peur qui fait des ailes. En deux temps trois mouvements, il accroche une branche de quebracho et laisse la maman PapBu les yeux tendrement maternels sur ses œufs-bulles, rassurée de toujours les avoir à portée en cas d’intrusion indésirable et heureuse jusqu’à présent d’avoir pu intervenir à temps.

Chapitre XI

Apathu se réveille brusquement au ralenti et prend conscience qu’il devient malgré lui un aventurier, un découvre de terres inconnues, un audacieux (il ne craint pas la vanité pour la bonne cause), et d’arbre en arbre, chemin faisant (à ne pas confondre avec son homonyme volatil qui est loin de l’être), il hume les essences (peu chers dans ces contrées, car bon sang bois, le végétal est source d’énergie), il vagabonde aux effluves de la liberté. Il est heureux. Quand, une feuille aussi imposante et lourde qu’une tôle d’un abri de récréation (que les moins de vingt ans n’ont pas souvenir, surtout dans nos zones citadines) se détache, le bouscule violemment de ses accroches arboricoles et le plaque lourdement au sol. Il est un tantinet dans les étoiles par ce choc, et quoi qu’il fasse nuit subitement, il voit que sa situation s’est assombrie brutalement comme si le soleil avait éteint sa chaudière d’un coup de disjoncteur en surchauffe d’antimoine.

Le nez dans l’humus révélateur de décennies de purgatoire, il lui vient entre la panse et l’œsophage une envie de vomir qui n’est pas habituelle. De son immobilité forcée, il croit mourir d’étouffement entre manque d’oxygène et retour inopiné d’un repas, quand une lueur de jour s’étale en un rayon fin et perçant. Ce qu’on appelle lueur d’espoir, n’est pas un vain mot. Il perçoit cet instant comme une révélation. Une joie intérieure inconnue jusqu’alors lui fait frissonner le poil et de l’épiderme au derme en passant par les fibres du tissu aqueux. En un mot, sa jouissance, de revoir le jour, grandeur nature, est à son comble. Elle n’est que de courte durée. La nuit revient aussitôt. Et sa déception lui signe (sans duplicata) une profonde angoisse. Allait-il périr de ce coup du sort ? Reverrait-il Ouatie, son amour de toujours ?

Chapitre XII

Un immense Ongulaty – cousin très éloigné de la famille de Ouatie – qui passe ce jour-là dans les environs à la recherche de fruits exoplasmes, avait vu la scène tragique se dérouler en quelques secondes sous ses yeux : un paresseux pris au piège d’une feuille d’Atrométal. Aussi, d’un élan souple et dépliant (et pas touristique), l’Ougulaty a la charge de tirer de cet embarras un congénère d’une lointaine lignée, certes, mais plus encore par devoir si ce n’est par cette chance de gagner une autre médaille pour son clan et ainsi, peut-être gagner le cœur d’une promise à la griffe redoutable pour les prétendants, tout du moins, prétentieux.

Il soulève prestement la feuille d’Atrométal et d’un geste élastique la plie en huit pour la déposer sur le contrefort d’un bambou de belle taille. Il saisit l’inconscient et dans ses bras robustes d’un poil douillet des avant-bras, le transporte comme un présent qu’il devait remettre en bon état à la collectivité par un rayonnement de joie et d’allégresse.

Chapitre XIII

Une goutte d’eau, grosse comme le fruit d’un grenadier, de l’arbre à Ôssho, atteint le profil d’Apathu, étendu au milieu d’un nid géant de feuillage.

Se réveille en sursaut, lui indique clairement qu’il est encore vivant. Ce qui l’étonne d’autant, qu’il est dans une posture dès plus délicate devant le sourire béat… d’Ouatie.

Morale : rien ne sert de courir, il faut arriver à temps pour retrouver sa belle.

© Max-Louis MARCETTEAU

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