L’étourdissement avait ouvert illico un compte

Photographie © Iotop 2024

« La première fois est toujours la dernière fois » se disait-il, assis, solidement amarré du tronc aux membres inférieurs, dans la salle du châtiment ultime.

Le sédatif entre le pouce et l’index. Un binôme idéal pour saisir l’essentiel : de la pincée de sel à « j’en pince pour toi » pour toute une vie. Quant à la mort, elle l’attendait, non sans impatience. D’ailleurs, il avait été de tous les retards et si sa vie avait été aussi longue que la queue d’un Marsupilami (1), cela n’aurait rien changé à l’affaire… alors la mort…

Le juge avait dit «… sera exécuté par électrocution ». Il avait été de marbre à la sentence par effet que son empathie avait claqué depuis qu’il avait reçu un mauvais coup sur le haut du crâne par un gourdin inconnu au passage d’une ruelle éclairée de malversations lumineuses et son portefeuille, de par le fait, confisqué par une main dégoulinante de rapine. Il n’avait pas eu le temps de rugir, le saisissement en une fraction de seconde du prisme de l’étourdissement avait ouvert illico un compte, et conscience et inconscience, main dans la main, au bout du fil, ne disaient plus rien : black out.

Il scrutait ce médicament devant ses pupilles moins iris ébène qu’anthracite. Il souriait tristement. Il le faisait tourner avec sa pince d’un angle à un autre, d’une position à une autre. Ce cachet était rond, un marquage qui ressemblait à un trampoline. A cette pensée fugace, il rit. D’abord en retenu et puis avec des éclats comme un feu d’artifice entre ses dents restantes : le vide était un fond d’espace aux degrés centigrades à congeler les premières étoiles curieuses d’un trou noir avide de jouissance énergétique et qu’aucun spationaute n’aurait l’audace de passer le seuil même avec un complément de vie sans radiation à la clé.

On lui demanda d’arrêter de rire. « C’est indécent » entendait-il d’une voix métallique de l’infirmière androïde. Il la regarda avec quelques soubresauts de sa tonalité rieuse qui s’estompa jusqu’au sourire triste. Il souhaitait à cet instant être un océan pour enfoncer son angoisse dans les abysses du délire.

Il ouvrit sa bouche. Posa délicatement le médicament sur sa langue pâteuse, épaisse, douloureuse. On lui plaça dans l’autre main un verre d’eau, bleu. Il but, avala d’un trait. Il voulait vivre encore, mais la partie n’avait qu’un seul tour et entre la vie et son désir de vivre… le courant ne passait plus…

1 : animal imaginaire créé par André Franquin en 1952

© Max-Louis MARCETTEAU 2024

8 réflexions sur “L’étourdissement avait ouvert illico un compte

  1. Bonjour Max-Louis. Quelles peuvent être les pensées de celui ou celle qui, sans souffrir, sait que dans quelques heures il ou elle ne sera plus là ? Quid de ce déclic à l’instant T où l’on avale ce cachet………..
    Bonne soirée ravie de te lire à nouveau

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