Agenda Ironique Décembre 2019
Vendredi 5 octobre 1582. Je me réveille ou crois me réveiller. J’entends au loin une corne de brume et ce n’est pas un rebec, quoi que… Je me lève de ma paillasse. Il fait humide et mon rat colocataire fait le beau sur ses deux pattes arrières pour me réclamer, comme tous les jours son Noël, un morceau de mon pain de sarrasin que je planque dans mon bahut endroit peu coutumier de son utilité de garde-manger mais seul endroit contre ce genre de rongeur sympathique mais égoïste.
Aujourd’hui, j’attends une bonne œuvre, comme tous les mois et comme chaque jour je m’agenouille et récite le Sub tuum præsidium face à une ouverture d’une demi-coudée royale de long sur une de large aux barreaux bien ancrés sur ce jour qui se lève bien trop haut pour distinguer une possible civilisation où seuls le ciel et un peu de soleil me font la courte-échelle pour les apercevoir.
J’existe encore dans cette prison parce que j’ai l’espoir d’en sortir, peut-être demain peut-être pas, et mon paquet attendu est devant mes yeux. Je l’ouvre lentement, ce sac en toile de chanvre. Il y a du boucané, miches de pain, quelques racines, des œufs et poissons séchés et un pli un tantinet dégradé au sceau inconnu non décacheté. Étrange. Je pense : carte au trésor, carte d’évasion ?
J’enferme mes modestes nourritures, range mon unique livre et mon céans se pose sur mon pliant faudesteuil puis je déplie le pli de huit délicatement sur mon bahut. A cet instant tout s’arrête, même mon rongeur de grignoter son morceau de bois favori, le suintement des épais murs se sont figés, mon gardien posté à ma porte-barreaux montre le dos rond, il ne manque qu’une belle lumière pour découvrir mon visage radieux, mon sourire bicarbonate.
Et là-devant moi, une carte marine, d’un nommé Joan Martines, au nom de code Sasthas Oka à la signature reconnaissable par son SO en filigrane. Je suis perplexe et une énigme comme un gouffre insondable du questionnement s’impose à moi : à quoi peut-elle bien me servir ? A rien ! Ou bien, à rêver d’une terre lointaine inexplorée, mystérieuse, insoupçonnée, ignorée, inaccessible comme l’âme de mon rat qui me regarde incrédule et reprend son machouillage de bois et mon gardien qui se redresse, se retourne, son visage ironique, son sourire édenté à peine visible sous ses moustaches et barbe crasseuses.
Comme dit l’expression, je n’ai pas été nourri dans une bouteille (1) et sans être tatillon, tous ces traits itinérants, ces rosaces, ces bateaux, ces noms inconnus gravés, est-ce l’Enfer ? Mon enfer, à moi, je le connais, on s’est adapté. Est-ce mon épreuve ? Est-ce mon ultime pénitence ? Ainsi, un démon humain aurait-il par effet de provoquer mon inquisition, à me provoquer, à me détacher de ma croix ? A expurger mon âme, mes bonnes prières par la tentation ?
Je m’agenouille aussitôt et prie avec ferveur à haute voix. Et si ? Eh oui ! Je me relève. Je comprends. Mes yeux sont embrasés aux signes cabalistiques dissimulés avec talent sur cette carte. Je sors ma plume, mon encre, les feuilles de mon bahut, mes cierges d’abeille, et fiévreux, j’écris ce qui semble la Vérité qui m’est délivrée, à moi. A cet instant, je deviens le détenteur d’un secret.
L’obscur s’impatiente et la lumière crie son dernier appel. Je viens de découvrir la Vérité. Cette Vérité dessinée sur cette carte. Carte qui … devient soudainement brillante. Un maléfice ? Cette carte est maléfique ! Voilà, j’ai compris. On a ourdi contre moi. On veut me faire devenir fol.
Mon cœur bat irrégulièrement, mon souffle s’éprend de rester enfermé en moi comme moi entre ces murs. J’essaye de crier. Rien à faire. Mes yeux brûlent… mes narines sont en feu… ma gorge gonfle par mille piqûres de scorpions… je me tétanise… bave par le nez …
— Eh bien, il a son compte.
— Oui, gardien, il y a son compte.
— La carte a diffusé une poudre incolore hallucinatoire et toxique.
— Il l’a bien mérité, ce bâtard, amant de la première dame de la cour de notre Seigneur, mon épouse.
Jeudi 14 octobre 1582, mort d’un homme à l’épitaphe gravée sur une plaque de bois par une inconnue : ma passion est mon crime, ma prison est mon aventure.
(1) : élevé dans l’ignorance
(si vous avez un peu de temps : pouvez-vous me dire pourquoi, cette histoire, dans tous les cas, ne peut exister ?)
© Max-Louis MARCETTEAU 2019
Il me semble que cette histoire, en effet, ne peut exister. S’il me souvient bien de ces temps troublés, il y a eu un pli dans le continuum spatio-temporel entre le 31 décembre1581 et le 1er janvier 1583. Ainsi, l’année 1582 n’a tout simplement pas existé
Tu es démasqué, Max-Louis, ton histoire était un faux !
Très bonne journée à toi, néanmoins, car c’était une très belle histoire, apte à nous faire naviguer dans les méandres de l’imagination.
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https://fr.wikipedia.org/wiki/Passage_du_calendrier_julien_au_calendrier_grégorien
un truc dans ce genre ?
Merci max louis pour l’atlas BNF 🙂
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Bon jour Ire,
Merci pour ce lien exhaustif sur ce sujet trop souvent inconnu ou oublié … ce qui nous donne une relation au temps toute relative. En effet le jeudi 4 octobre 1582 a été suivi par le vendredi 15 octobre 1582 et donc mon histoire est impossible 😉
Merci pour ton lien qui apporte une réponse assez pertinente.
Pour l’atlas, merci surtout à Carnetsparesseux qui nous fait découvrir des contrées inconnues à l’imaginaire peuplés de mystères …
Merci de ton passage et mots 🙂
Max-Louis
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Bon jour Jean-Louis,
Diantre, une année qui s’envole, c’est un peu beaucoup 🙂 lol … alors il est vrai qu’il y a une disparition pure est simple du jeudi 4 octobre 1582 pour arriver directement au vendredi 15 octobre 1582 mais cela s’est effectué différemment selon les territoires dans la France du XVIème. Le commentaire de Ire qui mène sur Wikipédia l’incontournable en dit plus long.
Donc cette histoire c’est de l’intox … 🙂 lol
En tout cas merci de tes mots, compliment.
Bonne journée à toi 🙂
Max-Louis
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voilà un sacré voyage, et même le tout dernier, sans billet retour !
une interrogation demeure : qu’est devenu le rongeur de compagnie ?
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Bon jour Carnetsparesseux,
Diantre, c’est vrai, le rongeur … bonne question ! Sera-t-il le vengeur de son « maître » ? N’est-il pas l’égoïste désigné, à tort ? Va-t-il oser l’impossible pour un autre garde-manger ? etc
En fait, il faudrait creuser une suite …
En tout cas merci des mots, passage et questionnement 🙂
Maxx-Louis
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et la belle amoureuse du défunt héros, n’aura-t-elle pas son mot à dire (un petit bouillon d’onze heure à son impétueux époux) ?
une suite s’impose 🙂
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C’est clair (pas le bouillon) lol … je note 🙂
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Merci de cette nouvelle et énigme. Je pensais que Louise avait été fidèle et là j’apprends que Julien et Grégorien sont passés par la Lorraine 😉 Ah je m’en retourne chercher Basil, Fievel et Ratatouille pour passer de bons moments avec mes petits (rats).
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Bon jour,
Diantre, d’un jour à l’autre tout peut changer … 🙂
Merci de vos mots, passage 🙂
Max-Louis
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les morts s’expriment chez toi Max-Louis ! 😀 récit haletant s’il en fût puisque le héros a épuisé jusqu’à son dernier souffle ! merci 🙂
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Bon jour,
Une part de nous est lié à Eux comme une part indélébile … 😉
Merci de tes mots, passage et compliment 🙂
Max-Louis
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c’est vrai…………. 🙂
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Désolée Max-Louis cette histoire existe belle et bien, je viens de la lire 🙂
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Bon jour Laurence,
Une impression de déjà lue, de déjà vue … 🙂
Merci de tes mots, passage 🙂
Max-Louis
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Une histoire doit-elle être vraie pour qu’elle soit fort appréciée ? Heureusement que non, c’est un peu le sel de l’écriture, se permettre n’importe quoi, mettre un rat, une carte maritime, du poison incolore dans son chaudron et on obtient un récit qui se coupe du temps 🙂 ! Belle participation à l’agenda ! Sabrina
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Bon jour Sabrina,
Oui, c’est aussi dans une autre mesure (ou pas, car parfois la réalité dépasse la fiction) l’effet de l’imaginaire … 🙂
Merci de tes mots, passage et compliment 🙂
Max-Louis
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